Retour sur la Nuit polaire

 Stéphane Lévin nous fait à nouveau le plaisir d’intervenir dans le cadre du cycle « Valoriser le capital humain »

Stéphane Lévin est cet explorateur qui a voulu expérimenter une nuit polaire dans sa totalité : plus de 120 jours dans un isolement total, dont 70 jours dans une obscurité totale, par des températures extrêmes, entre -30 et -70 °C, dans le Grand Nord canadien, à 100 km de toute habitation.

A son départ de sa base de Resolute Bay, les Inuit le préviennent : si tu restes 1 mois, ce sera déjà un exploit !

On connait la suite (voir l’article: https://ceca.asso.fr/universite-hommes-entreprises/courage-3/retour-a-resolute-bay : ou  mieux : le passionnant récit de Stéphane Lévin : Seul dans la nuit polaire) : la construction d’un igloo qui englobe sa cabane et lui permet de faire monter la température de 10°, la crainte permanente des ours, un colosse de 3,5 mètres de haut, de plus de 500 kg, les tempêtes qui font passer la température ressentie à -80°C , l’auto-opération de sa main avec les moyens du bord, les risques mortels d’endormissement à cause du froid,…

stephane levin et sac

Après 106 jours d’obscurité, le soleil fait à nouveau son apparition : Stéphane a réussi sa mission et lance le signal satellite pour que les Inuit viennent le rechercher.

En marge de sa conférence, nous (les décideurs présents) lui avons posé plusieurs questions :

D’où vous est venue cette idée d’expédition dans le grand nord canadien ?

Après mon expérience d’organisation de voyages, j’étais en quête de sens à donner à ma vie : j’ai eu l’idée de cette expédition dans le grand nord canadien en restant le temps d’une nuit polaire, soit 120 jours.

Pour que cette expédition soit utile, j’ai contacté le CHU de Rangueil (Toulouse) et l’Agence Spatiale Européenne, qui a vu l’intérêt de se servir de cette expérience pour préparer les futures expéditions spatiales de longue durée comme Mars.

Pour monter de telles expéditions, qui mettent en jeu votre vie, quel est votre moteur ?

J’ai toujours éprouvé le besoin de construire ma vie, jour après jour…

Mon moteur, c’est ma liberté, mais aussi la possibilité d’utiliser ma polyvalence et l’action elle-même, pour des projets utiles.

Mais ma motivation va bien au-delà de la performance physique : elle est aussi dans la planification et l’organisation du projet : plus d’un an et demi dans le cas de la mission polaire : montage du projet, recherche des sponsors, entraînement physique comme marcher 20 heures avec un sac à dos de 80 kg, conférences de presse, recherche du matériel adapté, relations avec les partenaires, etc…

 Comment avez-vous géré votre équipe ? comment  avez-vous motivé vos collaborateurs?

Tout le monde participe, tout le monde est responsabilisé : si, sur une équipe de 10 personnes, vous n’avez qu’un seul gagnant, vous forgez 9 perdants…

Donc, il faut créer les conditions de la réussite pour les 9 autres personnes.

Il convient au chef de projet de créer les conditions d’un bon projet, mais aussi d’être créatif pour éviter de refaire les mêmes choses.

Comment gère- t-on l’après expédition ?

Dans le cas de la Nuit polaire, je n’avais pas du tout anticipé ce succès : dès mon arrivée à Blagnac, 200 journalistes m’attendent : je dois faire le Soir 3, passer chez Europe 1 le lendemain à 7 heures30, faire le 20 heures, répondre à de multiples sollicitations de témoignages, de conférences,…

De plus, j’arrive à Toulouse en février 2003 ; quelques mois après, les conditions météo vont rapidement devenir caniculaires : je passe donc de -40° à + 40° ! : après avoir échappé au froid extrême, j’ai failli mourir de chaud !…

Ce qui va me sauver, c’est de partir en refuge dans les Pyrénées, d’où j’apprends que je suis lauréat du prix Flammarion et que mon ouvrage va inaugurer la collection de la Société des Explorateurs Français.

Mais je suis encore dans mon rythme d’hibernant : je dors le jour et écris la nuit…

Et  la reprise a été dure.

C’est aussi en me préparant  à une nouvelle expédition que je recommence l’entraînement : heureusement, car outre les 12 kg pris durant l’expédition, j’avais encore pris 10 kg !…

Il faut repartir doucement : un footing de 2 minutes le 1er jour, puis 4 le 2ème, etc…

Cette expérience de « l’après », je l’ai mise au service des jeunes dans les 3 expéditions de Voyageurs des Sciences.

s levin et matériel

Comment gérez-vous votre stress ?

La visualisation mentale m’y a beaucoup aidé.

Par ex, visualiser un ours qui arrive vers moi, qui entre dans ma zone des 50 mètres, je me vois attraper ma carabine, introduire la cartouche, tirer en l’air, etc…

Il faut désinhiber le stress ; je visualise le danger, je recommence la visualisation du danger et la parade jusqu’à ce que mon cœur batte normalement.

Je compte également sur mes 30 ans d’expérience : ne pas prévaloir de mes forces.

Enfin, le détail de préparation :

Si je me prépare à un accident d’un des jeunes que j’ai emmené, je visualise l’accident, la procédure à suivre pour l’évacuer ; ensuite, je me rends sur place, je prends contact avec le Samu local, je vais  à l’hôpital, …

Comment avez-vous sélectionné les lycéens ?

 

          D’abord tests écrits : maths, physique, français, biologie,…

          Tests écrits de motivation : fait-il parti d’un club de sport, d’une association,…

          Dernier test : 5 min en tête à tête avec lui.

          Puis, tests médicaux à l’hôpital sur les 12 jeunes pré-sélectionnés.

          Puis, w end de 3 jours avec les 12 jeunes.

          Arrivée à 22 heures, il faut aller chercher du bois, creuser des wc, aller chercher de l’eau, etc…

          Au bout, je sélectionne un garçon et une fille de chaque lycée.

          Enfin, a lieu un entraînement sur 6 mois.

          Puis, lors de la mission : concentré, pas de téléphone portable, pas de tablette !…

Ce qui a été fondamental : l’état d’esprit du jeune.

Votre prochain défi ?

Ce sera également une expédition de l’extrême, mais à l’inverse de la Nuit Polaire, dans un des déserts les plus chauds du monde : le désert de Namibie !

Dix ans après l’expédition Nuit polaire, ce sera à nouveau une expédition scientifique, permettant de tester la résistance de l’Homme à des chaleurs extrêmes : +50 à +70°C dans la journée au niveau du sol et surtout des températures nocturnes qui redescendent peu, que l’on observe dans les grandes canicules…

Merci, cher Stéphane, pour ces échanges passionnants, qui permettent de prendre du recul par rapport aux contingences du quotidien.

crédit photo: Stéphane Lévin

pour en savoir plus::COUVERTURENUITPOLAIRE2013-187x300

2 réponses sur « Passion et performance »

Très intéressant ce lien avec le management pour faire autant de vainqueurs de que de participants au travail du groupe. Dès lundi, essayer de se penser en chef d’expédition… La douceur bordelaise en plus.

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