Voici un article intéressant, publié suite à l’Université Hommes-Entreprises, en forme de synthèse, par Patrick Beauvillard, Conseiller Régional d’Aquitaine, sur le temps de la politique, un sujet qui intéresse tous citoyens. Merci de cette contribution !
Depuis l’an dernier, je participe en la fin du mois d’août, à l’Université Hommes-Entreprises organisée par le CECA. C’est un lieu d’humanisme, dont la vocation est de redonner sa place à l’homme dans l’entreprise. La période, en fin de congés et quelques jours avant la reprise, est propice à la prise de recul. L’esprit est encore libre et prend plus de hauteur que dans les périodes d’activité frénétique.
Cette année, le thème des 2 jours était « la valeur du temps ». Ce qui m’amène dans cette chronique à m’interroger sur la valeur du temps politique. Le premier intervenant, Jean-Louis Servan-Schreiber, attirait notre attention sur le fait que ce n’est pas le temps qui accélère ! Il reste toujours lui-même, immuable, et très démocratique puisque qu’il est le même pour tous. En revanche ce qui diffère, c’est l’usage que nous faisons du temps. Et là, deux points essentiels apparaissent.
A vouloir tout mettre dans son emploi du temps, « le présent devient tellement bourré que l’on ne peut se souvenir du passé, ni penser à l’avenir ». Et donc, toujours selon Servan-Schreiber, on ne réfléchit plus. On agit… Ou plutôt, on réagit. Mais quelle action sensée peut-on mettre en place sans une réflexion approfondie préalable ? L’exemple de notre endettement est tout à fait révélateur. Il est le résultat de suites de réactions immédiates, prises sans considération des conséquences à long terme, et pour répondre à des besoins immédiats. Et le plan de désendettement présenté ces jours-ci est un autre exemple de réactions prises à la hâte, tellement rapidement et sans anticipation que dès la première journée de débat à l’assemblée nationale, 2 des 3 premières mesures examinées seront supprimées ! A faire trop vite, on risque fort d’avoir à défaire.
Isabelle Sorente, écrivaine et mathématicienne prêchait pour que nous sachions « redevenir des hommes et des femmes d’actions philosophes ». Et elle ajoutait « action et philosophie vont de pair. C’est un défi d’une extrême grandeur d’allier les deux. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que le monde politique, et plus encore sous le présent quinquennat, à vouloir aller trop vite, semble avoir oublié de réfléchir. Dans mon métier de chef de projet, j’ai l’habitude de ralentir le rythme des projets lors de leur démarrage : il faut savoir prendre du temps, aller lentement, pour aller vite ensuite.
Le deuxième point concerne le courtermisme. En accroissant le rythme de toute chose, on accroit l’impatience. Et l’impatience a des conséquences tout à fait dramatique. Par exemple, les chercheurs ont observé ces dernières années aux USA, une perte de 30% de l’aptitude à lire et à écrire chez les jeunes, conséquence de leur impatience.
Et le monde politique n’est pas en reste bien sûr. Chaque élu ayant sa réélection en ligne de mire, il lui est indispensable de faire des choses qui se voient vite. Et les choses qui ne se voient pas, ou qui sont de longue haleine, n’auront pas la priorité qu’elles méritent pourtant. Ce problème est inhérent à la démocratie. Mais il explique les graves situations de nos sociétés, incapables d’anticiper les tendances lourdes : retraite, vieillissement, épuisement des ressources naturelles…
Matthieu Ricard, moine bouddhiste, interprète du Dalaï Lama, a bien résumé les enjeux en rappelant qu’il y a trois temps, et que chacun a ses indicateurs propres.
Le court terme, malheureusement largement dominant, est mesuré par des indicateurs tels que le profit trimestriels des sociétés cotées, ou la cote de popularité des hommes politiques, mesurée tous les mois. Les indicateurs d’ailleurs entraînent des réactions immédiates pour espérer les infléchir. Le court terme engendre le court terme.
Le moyen terme, avec son indicateur que Matthieu Ricard nous propose: le bonheur ! Peut-être ne le savez-vous pas, mais il existe un pays, le Bhoutan, qui en 1972 a créé un nouvel indicateur pour mesurer l’évolution du niveau de vie de son pays. Plutôt que de parler de PNB (Produit National Brut), il a instauré le BNB, le Bonheur National Brut. Il permet de mesurer à la fois la croissance et le développement économiques, la conservation et la promotion de la culture, la sauvegarde de l’environnement et l’utilisation durable des ressources, et la bonne gouvernance responsable. Ce minuscule pays d’Asie nous montre qu’il est possible de viser plus loin.
Enfin le long terme, mesuré par l’évolution des grands équilibres de notre planète et des ressources naturelles.
Le temps du politique devrait être équilibré entre ces trois temps, court, moyen et long terme.
Vous le savez, j’aime terminer mes billets avec des propositions, concrètes si possible, histoire de montrer que réflexion et action peuvent être conciliées ! Quelles peuvent être les pistes pour améliorer le temps politique ?
Il y a d’abord les fausses bonnes idées…
J’étais de ceux qui étaient pour le passage du septennat en quinquennat. Aujourd’hui, je pense que c’était une erreur, que nous avons cédé à l’impatience. On le voit bien lors de cette séquence sur le désendettement. Dans l’année qui précède les présidentielles, les vrais sujets ne sont plus traités. Les réformes structurelles nécessaires (voir mon précédent article sur l’indispensable révolution fiscale) mise en attente. Au lieu de cela, le plan proposé est un plan de rustine. Raccourcir le mandat présidentiel aura je crois aggravé le déséquilibre entre court terme et moyen terme.
Alors quelles sont les bonnes idées. J’en citerai 3 :
1. Stopper le cumul des mandats.
Nous avons vu plus haut comment remplir le présent empêchait de se pencher sur l’avenir. Les élus qui cumulent 2 ou 3 mandats importants, plus toutes les représentations qui en découlent, ne peuvent pas, j’en ai l’intime conviction, concilier action et réflexion. Ils travaillent dans l’urgence, de manière réactive. Ils n’anticipent plus. La seule manière que je connaissance pour remédier à cela est d’alléger leur emploi du temps ! Et de n’exercer qu’un seul (voire 2 dans certains) mandat.
2. Limiter le renouvellement des mandats
Limiter le renouvellement des mandats est également un moyen pour alléger la pression du court terme, et rééquilibrer les trois temps du politique. Certains entrepreneurs ont décidé de quitter la bourse, pour échapper à l’emprise du court terme, et ne pas être pénalisé lorsqu’il mène une politique de long terme. Les mandats en moyenne sont de 5 ou 6 ans. Les limiter à 1 renouvellement permettrait de redonner un peu d’air à notre démocratie, de la faire mieux respirer, et je crois, d’amener les élus à réfléchir à plus long terme.
3. Instaurer un système d’évaluation des politiques publiques
Comme tout projet, une politique doit être évaluable. On a vu le Président de la République, surtout au début de son mandat, s’inspirer très largement des méthodes d’évaluation utilisées dans le privé pour créer des indicateurs de son action. L’idée était bonne, mais cela a conduit à des erreurs car cela a été particulièrement mal fait. On a vu apparaître la « politique du chiffre », où l’objectif n’est plus de remplir sa mission, mais d’obtenir le bon indicateur.
Un système d’évaluation bien pensé permet de distinguer les objectifs à atteindre, les finalités recherchées et les moyens à mettre en œuvre. Il permet de trouver des indicateurs qui permettent d’évaluer que les moyens sont correctement utilisés, que les objectifs sont atteints, et qu’ils permettent effectivement d’obtenir les résultats escomptés. Ces indicateurs ne sont pas les mêmes dans le temps, ils évoluent. On ne regarde pas le même indicateur à court, moyen ou long terme.
Le jour où ces pratiques d’évaluation des projets seront employées avec rigueur et dans la concertation pour mesurer l’action du politique, alors il n’aura plus l’œil rivé sur sa côte de popularité en temps réel, et pourra se concentrer pleinement à son mandat.