5h04 le mercredi 24 août 2011… Plusieurs coups de tonnerre ont raison de mon sommeil profond.
Regardant les chiffres lumineux s’affichant sur mon réveil, je pense immédiatement à l’événement qui me réveille en pleine nuit depuis mon retour de congés : pour cette 17ème Université, nous n’aurons pas de canicule…
10h26 – CECA- Saint-Aubin-de-Médoc : le téléphone sonne régulièrement : plusieurs personnes, ayant lu la presse, demandent s’il reste des places pour aller voir Matthieu Ricard… nous sommes obligés de les décevoir…
11h51 – Gare Saint-Jean : je hâte le pas pour rejoindre une de nos conférencières, qui a eu les honneurs de Sud-Ouest ce matin, Isabelle Sorente, auteur de : « Addiction générale ».
13h31 : Château Smith Haut-Lafitte.
Les longues files de voitures alignées devant les vignes signifient que les participants ont respecté nos recommandations d’arriver bien à l’heure.
En compagnie de Caroline Puel et de plusieurs amis, je foule un magistral tapis rouge pour arriver jusqu’à la tente d’accueil…
Toute l’équipe du CECA est sur le pied de guerre, ainsi que nos équipes d’hôtesses.
14h07 : Antoine Cuerq, 8ème Président du CECA, s’avance au pupitre, remercie l’implication de l’équipe du CECA et adresse un message de bienvenue aux 400 cadres et dirigeants présents : la 17ème Université Hommes-Entreprises vient de commencer.
Voilà comment on pourrait narrer le « timing » des préparatifs de cette 17ème édition, pleine de promesses…
En voici les points marquants, qui s’appliqueraient plus spécialement à nous, homme ou femme en situation de responsabilité, pour qui le temps est une équation difficile à résoudre.
Sobrement, un des patrons de presse les plus réputés, Jean-Louis Servan-Schreiber, fait émerger quelques points saillants de ses recherches et de ses ouvrages de référence sur le temps : il est urgent que l’entreprise retrouve le temps de la réflexion : quel chef d’entreprise livrerait ses prévisions à 3 ans, alors que bien souvent, il ne sait comment son entreprise évoluera dans les 6 mois… ?
Il est intéressant qu’un grand patron de presse, qui a été à l’origine de la création et/ou du succès de l’Expansion, de Radio-Classique, de Psychologies magazine (dont il a triplé le tirage…), créé maintenant avec son épouse un magazine qui veut « redonner du sens ».
En présentant « Clés », Perla Servan-Schreiber rappelle – très justement – que derrière chaque grand homme, il y a… une femme !
Dans une après-midi trustée par les conférenciers, une femme se démarque avec brio : Isabelle Sorente.
Très vite, elle nous emmène à 10 000 pieds, avec une conférence de haut vol !
Tout en nous mettant en garde contre notre addiction à vouloir tout compter (et se donner ainsi l’illusion de tout maîtriser ?…) , elle nous délivre ce message, innovant, en forme de bonne nouvelle : on peut préserver le sens dans l’action, ce qui n’est pas nouveau: regardons Gandhi…
Il faut se mettre à la place de l’autre, c’est ce qui permet de résoudre nombre de conflits dans une société d’isolement.
C’est aussi ce qui nous différenciera de la machine, que l’on ne cesse de vouloir imiter…
Belle introduction à l’anthropologie de Pascal Picq.
En allant sans arrêt des dernières recherches aux échanges concrets avec les grands patrons d’entreprises qu’il côtoie, Pascal Picq explique que passer du temps avec les autres est essentiel pour gouverner, manager et survivre.
Illustrant ses propos de l’histoire d’Alice au pays des merveilles (à qui l’on explique qu’il faut toujours courir pour pouvoir…conserver sa place !), il explique que les entreprises doivent fonctionner en écosystème : si les autres bougent, je dois bouger aussi…
Lui aussi, annonce une bonne nouvelle pour ce public de décideurs : l’Homme a besoin des autres, il est fait pour la vie en collectivité, c’est même ce qui le fait évoluer.
C’est une espèce qui a besoin d’empathie.
(à ce moment là, je me sens très loin du mythe entrepreunarial des années 80 incarné à l’époque par Bernard Tapie : mon but dans la vie, c’est de gagner beaucoup d’argent ! même si…)
Les 3 dirigeants interrogés ont bien illustré cet ordre d’idées : chez Maïsadour, Thierry Blandinières ressent parfois le besoin de laisser filer le temps, lors d’un repas avec l’ancien Président, qui incarne la culture et les valeurs du groupe, ou d’accélérer, en achetant d’autres entreprises pour obtenir une taille critique, capable de peser dans un marché mondial…
Même sentiment de devoir adopter le bon tempo pour Edgard Girard : l’entreprise doit s’adapter en permanence…
Et Emeric d’Arcimoles fait écho à Pascal Picq en racontant que l’abolition des différences de CSP dans les restaurants d’entreprise a permis un gain de productivité de 20% chez Turbomeca…
Les organisateurs de l’Université avaient gardé la Sagesse pour la fin de journée : en donnant une heure de parole au célèbre moine bouddhiste-scientifique-philosophe Matthieu Ricard.
… et leurs attentes n’ont pas été déçues, tant la conférence de cette référence internationale du bouddhisme a été porteuse d’espoir :
– L’altruisme permet de réconcilier les temps court (échanges matériels), moyen (humain) et long (l’environnement).
– Le drame de notre époque, c’est de sous-estimer le potentiel de transformation qui est en nous…
– L’égo, c’est une libération d’émotions destructrices pour soi et pour les autrui.
– Le don et l’altruisme sont source de bonheur.
Matthieu Ricard terminait sa conférence par une présentation illustrée d’expériences scientifiques : des moines se prêtant au jeu d’expérimentations en IRM (certains restant dans la machine plus de 20 heures en méditation…) démontrant l’influence de la méditation sur des zones précises du cerveau.
Concrètement : la méditation provoque une diminution importante de l’anxiété et du stress, une baisse de la pression artérielle, et renforce le système immunitaire.
(ces paroles font bien sûr écho à cette recommandation, il y a 3 ans, de Guy Gilbert : priez ou méditez 20 minutes tous les matins, ça changera votre vie !)
Cette première après-midi très dense (6 heures de conférences et débat) se clôtura heureusement par un cocktail réparateur avec les vins des appellations Pessac Léognan !
2ème journée
« Pour remettre les Hommes au cœur de l’entreprise, le CECA, … » le traditionnel film de présentation de l’Université achevé, un homme déboule sur la scène :
Excusez-moi, je suis un peu essoufflé ! Je viens de traverser une ville où tout le monde courait … Je ne peux pas vous dire laquelle … je l’ai traversée en courant.! Lorsque j’y suis entré, je marchais normalement. Mais quand j’ai vu que tout le monde courait … je me suis mis à courir comme tout le monde, sans raison !
Frédéric GUY nous fait une interprétation remarquable du sketche de Devos sur le temps, bien sûr…
Puis lui succède le « marcheur au long cours », comme il se définit lui-même, Sébastien de Fooz, (« transfuge » de mes amis belges organisateurs d’une université à Bruxelles)
Voyage spirituel de 184 jours vers l’orient où le soleil se lève, 6000 km à pied, seul, depuis sa ville natale de Gand, Belgique vers Jérusalem.
Voyage initiatique l’obligeant de passer sans arrêt du concret (la marche) au spirituel.
184 visages l’ont accompagné et ont montré combien ce qui nous rassemble est infiniment plus riche que ce qui nous oppose…
Après l’Orient, vient l’Extrême-Orient, la Chine, avec la journaliste de talent (Prix Albert Londres) Caroline Puel, interrogée par Michel Castan (QIAO) et Alain Mainguy (CPA Grand Sud Ouest).
Quelques bribes de cet exposé passionnant :
La Chine, c’est un rapport au temps très différent de nous, Occidentaux.
La Chine, c’est une capacité d’adaptation très rapide des moyens d’action au service d’un seul objectif ; c’est aussi la primauté du collectif sur l’individuel.
La Chine, c’est une gouvernance à long terme, mais avec des antagonismes forts entre réformateurs (Wen Jiabao, le Premier ministre actuel) et les conservateurs…
La Chine fait peur, mais elle a peur… que l’on ait peur…d’elle.
Avant que la salle se vide pour prendre un café, Emmanuel Bossard explique les règles d’un jeu-surprise concocté avec ses professeurs du futur « The Bordeaux MBA » et l’équipe du CECA.
Un jeu, entend-t-on, proposant aux auditeurs- en équipe- de noter les meilleures moyens de perdre du temps à coup sûr !!…
Il fallait voir d’un coup les 400 personnes de l’auditoire lever le bras gauche et le poser délicatement sur l’épaule du voisin de gauche !… désignant ainsi son partenaire de jeu.
C’est bientôt l’heure du cocktail déjeunatoire : Jean-Robert Pitte va vite nous démontrer que ce que nous considérons comme acquis, voire banal, un œuf à la coque, est en fait un art…
Ce n’est pas pour rien, qu’à la tête d’une délégation française, il a réussit à convaincre un jury international de classer la gastronomie française au Patrimoine mondial de l’Unesco… ce qui était loin d’être acquis d’avance…
Pourquoi, nous dit JR Pitte, ne pas élever la gastronomie française au niveau des autres arts : peinture, musique, littérature, … ?
12h56 : les délais sont tenus ! c’est l’heure du cocktail
(ici, je dois intervenir et expliquer l’erreur d’appréciation du nombre de participants au déjeuner : une bonne soixantaine de participants s’est rajoutée progressivement, faussant les savants calculs d’inscrits/présents au déjeuner… désolé pour celles et ceux qui sont restés sur leur faim… c’est la responsabilité du CECA…)
14h15 docilement, l’auditoire reprend peu à peu ses marques et sa place pour écouter le brillant historien, ancien Président de la Bibliothèque Nationale, ancien Ministre : Jean-Noël Jeanneney.
Durant 50 minutes très cadencées, l’historien a parlé du rapport de l’histoire au temps en émaillant sa conférence de très nombreuses citations de grands noms de la littérature française : un régal pour l’oreille, plus habituée de nos jours à des discours élimés, simplifiés à l’extrême et en perte de sens…
Jeanneney, en citant Michelet, résume bien la préoccupation lancinante de notre époque : « on ne sait où va le monde et si on savait, on serait terrifié ».
Il évoque des changements en profondeur de notre civilisation qui ne sont pas sans conséquence sur le temps : vivant plus longtemps, la mémoire humaine et les témoignages vont sur de plus longues périodes, ce qui aboutit parfois à des excès : le procès Papon se tient 55 ans après les faits…
C’est comme si le procès Dreyfus se tenait…en 1949, après la 2ème guerre mondiale !!
Comme les « sucettes » offertes aux invités du soir de Radio Classique, le CECA avait réservé une friandise à ses participants : le témoignage vidéo (superbement mis en scène par Daniel Piquemal, du CECA) de l’artiste – sculpteur Nathalie Decoster.
D’elle, nous pourrions retenir ce qui nous relie, elle et ses prestigieuses sculptures et nous, chercheurs en humanité : « pour moi, la performance doit passer par plus d’humanité ».
Est-ce une introduction à Philippe Gabilliet, chantre de l’optimisme ?
Peut-être… ne dit-il pas :la chance, c’est de devenir celui ou celle qui met les uns et les autres en relation, voire, d’être soi-même une opportunité ?…
Toujours est-il que Philippe Gabilliet a su mettre tout de suite le public de son côté, à la façon d’un acteur, grâce à son humour, mais aussi grâce à ses réflexions toujours très justes et illustrées d’exemples.
Ainsi : pour les Français, on constate qu’ils sont dans un schéma d’optimisme assez inhabituel : pessimistes de but : « on n’y arrivera jamais ! » et optimistes de chemin : « mais qu’est-ce qu’on va se marrer !! »…
Dernier intervenant, et pas le moindre : l’acteur Jacques Weber, révélé par Cyrano, au théâtre, dans le rôle-titre et au cinéma (César du meilleur second rôle pour le duc de Guiche).
C’est avec cette entrée en matière que les questions commencèrent…mais J. Weber montra rapidement qu’il était passé à autre chose depuis…
« pffuit ! la tirade du nez, en plus, placée comme elle est au début de la pièce, c’est très difficile à gérer ! »
Mais rapidement, pendant plus d’une heure, l’acteur se plia de bonne grâce et avec brio aux différentes questions qui venaient, tant de la tribune, que de la salle : depuis le temps théâtral, qui permet de suspendre le temps : c’est l’acteur qui se rend maître du temps, par le rythme qu’il imprime à sa diction ou l’apprivoisement des silences… jusqu’à sa vie de directeur de théâtre, conjuguant le temps de l’acteur et le temps du gestionnaire.
Le meilleur moment de cette forme de questions-réponses impromptue fut sans doute l’évocation par J Weber du duel Giscard/Mitterand (à 7 ans d’intervalle) qu’il fît revivre au moment des présidentielles.
Au moment où l’ancien Président l’appela, il crût d’abord à un canular d’un de ses copains ! mais c’était bien VGE en personne qui voulait lui parler et s’enquérir de son âge… « mais vous êtes beaucoup trop vieux pour jouer mon rôle!» renchérit-il à l’annonce de la réponse de Weber !!…
18h50, le temps est respecté, c’était le contrat de départ de l’équipe d’organisation…
Le cocktail de clôture permet d’échanger les réactions à chaud entre participants.
Reviennent souvent dans les échanges, la grande harmonie entre ces conférenciers de talent, chacune, chacun, apportant sa touche personnelle sur la valeur du temps ; que le temps doit être ré-investi au profit de la relation, de la réflexion et du sens ; qu’il faut être lucide sur l’emprise que le temps a sur nous : temps raccourci de plan stratégique de l’entreprise, temps volé à la relation humaine, au lien social, mais aussi temps gagné grâce aux formidables évolutions technologiques…
A l’instar du journaliste essayiste canadien Carl Honoré, il est quand même urgent de…ralentir, si nous voulons remettre l’Homme au cœur de l’entreprise.
Prochain rendez-vous : les 23 et 24 août 2012
Et pour celles et ceux qui veulent creuser le sujet : le programme inédit de « Valoriser le capital humain », un cycle Hommes-entreprises de 5 rencontres sur l’année 2012.
article écrit avec la précieuse collaboration de Lucas Chevalier (Jéroboam Communication) merci à Jean-Marie Laugerie pour le crédit photos